Bienvenue dans l’épisode 2 de la newsletter À L’ŒUVRE.
Nous sommes désormais 700 rassemblés ici (+210 par rapport à la semaine dernière) : merci d’avoir rejoint l’aventure et de vos précieux retours.
À L’ŒUVRE explore chaque semaine comment nous pouvons œuvrer pour un monde meilleur en mêlant histoires de terrain, références conceptuelles et pistes d’action concrètes — en moins de 10 minutes.
Cette semaine, nous interrogeons la notion d’action (à son niveau).
Le contexte actuel (élections américaines, COP29, crises sociales…) pourrait nous pousser à relativiser notre pouvoir d’agir. Au contraire, je pense qu’il est plus pertinent que jamais de questionner la manière dont nous agissons.
Au programme :
L’histoire : « J’essaie d’agir d’où je suis, sinon je deviens fou »
Le mot action, loin d’être obsolète
L’analyse : 5 perspectives pour redorer le blason de l’action
Les actions concrètes : 1 outil visuel pour trouver sa zone d’impact et 10 inspirations faisables d’ici Noël
Bonus COP29 : d’une initiative 0-déchet au bureau… à une invitation à témoigner à la COP26 »
🎬C’est parti.
L’histoire : « J’essaie d’agir d’où je suis, sinon je deviens fou ».
Je vous emmène à Concarneau, dans le Finistère (29), à la rencontre de Malo.
Malo dirige un fablab, un de ces espaces partagés pour que des citoyens viennent créer, réparer, expérimenter. Au Konkarlab, pour 10€ par an, on a accès à des imprimantes 3D, des laminoirs, des outils, une ressourcerie, des formations pratiques ou numériques, etc.
Le Konkarlab héberge aussi des projets plus larges :
La tiny-house 100% low-tech du low-tech lab
Le projet Kosmos, une caméra sous-marine unique créée en partenariat avec l’Ifremer pour observer la biodiversité marine
Des recherches pour recycler et ré-assembler des batteries… plutôt que de les jeter quand quelques cellules ou pièces sont hors-service.
Des expérimentations pour sensibiliser au delà des initiés, par exemple la « Karavan des Océans » sur la biodiversité marine (dans un quartier prioritaire)
Malo est pleinement à l’œuvre, sur le terrain. Mais quand je lui demande comment il relie son engagement concret avec les défis mondiaux, sa réponse me surprend :
« Tu sais, je ne pense pas trop aux problèmes du monde. J’essaie d’agir d’où je suis. Sinon je deviens fou, et je ne sais plus quoi faire. »
Cette approche est loin d’être isolée. Nombre de personnes que je trouve admirables d’engagement m’ont témoigné sobrement « essayer de faire les choses à leur niveau ».
Mélanie, agricultrice en Occitanie : « Je préfère faire au mieux ici que de convaincre les autres. » Caroline, vigneronne en biodynamie dans le bordelais : « Ce qui me motive, c’est de me dire qu’on essaie, qu’on fait vraiment notre maximum » Eric, salarié multi-engagé dans un collectif interne et des associations locales à Toulouse : “Je me concentre sur ce qui est à ma portée”. Et tant d’autres.
C’est d’autant plus intéressant quand on met cela en parallèle du sentiment global d’impuissance… y compris dans des sphères plus aisées, ou à responsabilité.
Par exemple, les « dirigeants » sont très régulièrement appelés à agir, ou accusés de cynisme. En les interrogeant, nombre d’entre eux confient être sensibilisés… mais à leur niveau aussi très contraints voire impuissants.
Si le sentiment d’impuissance est généralisé, ne doit-on pas changer de regard ? Et si l’action elle-même était un antidote à la paralysie ? Quelles conditions permettent de concevoir l’action à son niveau ?
Le mot : « Action »
“Action” est-il un mot valise ? Un détour par le dictionnaire permet de remettre certaines choses au clair.
Le mot vient du latin agere, qui signifie « faire quelque chose » ou « aller en avant ». Agir, c’est par essence sortir de l’immobilité. La première définition du « Centre National des Ressources Textuelles et Linguistiques » est encore plus intéressante :
Action : mise en œuvre, exercice du pouvoir ou du goût d'agir, et caractérisant, si cet exercice est habituel, un mode ou un style de vie.
Dans cette définition, il y a tout :
Passer du théorique au pratique
Etre à la hauteur de ses responsabilités
Intégrer cela avec les notions de sens et de plaisir
L’envisager comme un style plus qu’une contrainte, de plus en plus facile avec l’habitude.
Allons même plus loin. Le concept pourrait rassembler des contraires.
Actionnaires et activistes : cousins germains ?
_ Action désigne aussi les titres d’entreprise détenus par les actionnaires. Cela provient d’une définition juridique du mot : un moyen de faire valoir ses droits. Nous sommes tous actionnaires de la société : et si nos actions concrètes déterminaient notre droit de regard sur la société ?
_ Le mot ‘activiste’ est souvent perçu de manière péjorative. Plus objectivement, l’activisme désigne d’abord des doctrines (philosophiques, morales ou spirituelles) « mettant en relief le rôle primordial de l'action concrète dans la conception de la vérité ou la conduite de la vie c’est d’abord une doctrine qui veut mettre l’action au cœur de la manière d’envisager le monde ». Nous devrions tous devenir activistes ?
Fermons le dictionnaire pour aujourd’hui. Mais en deux mots : l’action semble tout sauf obsolète.
5 perspectives pour redorer le blason de l’action
« Quand ta tête est malade, occupe tes mains », dit l’adage.
S’il faut en être conscient des limites, voici 5 perspectives pour se donner envie d’agir.
#1. C’est un invariant de l’humanité. Cela légitime de s’y pencher.
Les réflexions autour de l’action à son niveau ont toujours mobilisé : philosophes, sociologues, anthropologues, militant(e)s, etc.
Les stoïciens invitaient à nous concentrer sur ce qui dépend de nous.
Steve Jobs mentionnait que chaque humain devait « laisser une marque dans l’Univers ».
Hannah Arendt faisait de l’action l’expression de la liberté.
Les droits sociaux acquis sont le fruit de l’engagement de millions de personnes.
Etc.
Tant de références qui montrent que la notion d’action est profondément ancrée dans l’évolution des sociétés et la quête de sens. Rien que pour cela, elle ne doit pas être disqualifiée en se convainquant que « de toute façon le monde fonctionne comme cela ».
#2. Agir à son niveau ≠ « Petits gestes »
La confusion est souvent entretenue. Mais l’action à son niveau est bien plus large quand on l’envisage comme contribution plutôt l’exemplarité.
Faire le lien avec son métier : mener des initiatives dans son organisation, utiliser son niveau de responsabilité, etc.
Rejoindre une association ou un projet citoyen.
Lancer des initiatives dans sa ville, son quartier, la crèche de ses enfants.
Transmettre et partager des savoir-faire, capacités, expériences (artistiques, sportives, culturelles, de vie…), plutôt que les garder pour soi.
Cela devient intéressant, non ?
#3. Commencer à son niveau augmente le champ des possibles
Le monde de l’entrepreunariat en fait la recette du succès : commencer par faire, même imparfaitement, puis itérer.
En commençant, on :
Augmente sa compréhension du terrain
Facilite son identification et sa reconnaissance sur le sujet
Tisse un réseau
Capitalise sur les succès et les échecs
Développe des processus et automatismes pour faire mieux
Et ainsi, on s’ouvre de nouvelles opportunités.
Cela s’applique à l’entreprenariat et à l’impact, et permettrait de concilier les deux.
#4. Agir à son niveau peut signifier bien plus grand
De nombreuses personnes « engagées » sont conscientes des limites de leur action. Mais elles le font parce que c’est « la bonne chose à faire », que cela résonne avec des convictions profondes.
Est-ce dérisoire ? L’intention, le symbole, ont toujours été de l’énergie pour agir.
Un exemple historique : on dit que Geneviève de Gaulle, nièce du Général et figure de la Résistance, commença son entrée dans la Résistance par l’arrachage d’un drapeau de l’occupant sur un pont parisien. Action inutile, ou grande par sa symbolique ?
Ainsi, au delà de l’action, il faut envisager l’intention sous-jacente. Passer à côté de cela, c’est négliger un aspect humain très important.
#5. L’action, la seule éducation ?
J’ai découvert récemment les travaux du philosophe John Dewey. Penseur du courant des « pragmatistes américains », il est une figure fondamentale des réflexions sur l’éducation. Notamment à travers son approche appelée « experiential learning ».
Et que nous dit Dewey sur l’éducation ? Pour lui c’est bien plus qu’un cursus académique initial qui nous forme pour la suite. Au contraire, c’est :
Un processus permanent de perfectionnement : « L’éducation ce n’est pas préparer la vie. L’éducation, c’est la vie ».
Qui doit s’ancrer dans l’expérience concrète : il est nécessaire d’être actif et de se frotter au réel pour comprendre et traiter les problèmes auxquels nous faisons face.
Indissociable de la notion de collectif : au delà de l’aspect concret de l’action, faire avec d’autres ou pour d’autres et mélanger les expériences, éduque.
Et Dewey de relier cela à une notion de croissance désirable :
« La croissance chez John Dewey renvoie à la possibilité de développer nos capacités en nous engageant avec d’autres dans des activités qui ont du sens pour nous et suscitent un sentiment d’accomplissement. Faire l’épreuve de ce que nous savons faire, mobiliser nos savoirs afin d’en apprendre de nouveaux, et ainsi élargir nos intérêts. »
Arto Charpentier, Docteur en philosophie à l'Université Jean Moulin Lyon III, dans le podcast Avec Philosophie sur France Culture
On arrête de réfléchir, et on agit ?
Des clés pour agir
→ 1. Un donut ensoleillé pour trouver sa zone d’impact
Pour rendre plus visuelles et concrètes ces perspectives sur l’action, j’utilise régulièrement un modèle de « donut ensoleillé » :
🛋️Au centre, la zone de confort : celle des projets individuels (par ailleurs légitimes)… ou des arrangements avec nous-mêmes. Il ne faut pas rester entièrement ici.
🐻❄️🥊A l’extérieur, la zone rouge et des ours polaires : les problèmes que vous ne pourrez pas résoudre à court ou moyen-terme, et où vous risquez de vous épuiser. A éviter, pour le moment.
🍩Au milieu, la zone d’impact : la zone optimale pour agir à un instant donné (avec plus ou moins d’effort). Agir ici et maintenant.
🌞Les rayons : le potentiel qui sera débloqué ensuite, quand vous aurez concrètement avancé. Et progressivement, on essaiera d’atteindre les ours polaires.
Je l’utilise régulièrement pour
M’assurer d’avoir toujours des activités dans ma zone d’impact
Évaluer des opportunités
Me questionner si pour certains projets je dois faire « plus simple, plus vite ».
Analyser a posteriori ce qui m’a permis (ou pas) d’augmenter mon impact
C’est à mettre en regard de votre situation de départ, des causes qui vous tiennent à cœur, ce que vous aimez/savez faire, de vos contraintes, etc.
Mais j’ai toujours trouvé ça utile pour aider à ne pas faire trop peu… ou trop.
NB : Pour les personnes familières de la Théorie du Donut de Kate Raworth, cela s’apparente à un Donut.
_ Là où le Donut de Kate Raworth donne un repère global entre « plancher social » et « limites planétaires », j’essaie d’aider à trouver une zone d’action ‘à un instant donné) au niveau individuel
_ Pour les personnes qui ne connaissent pas la théorie du Donut, je vous invite à la découvrir
→ 2. Des propositions d’actions concrètes
Le plus dur est souvent de se lancer.
Voici un ensemble d’actions possibles pour différents profils, faisables a priori en quelques heures par semaine d’ici Noël (vous me direz).
Aux dirigeant(e)s : investissez (un peu) de temps
1. Provoquez une session de discussion en direct avec des salariés pour les interroger sur leur ressenti de la stratégie de l’entreprise par rapport aux enjeux sociétaux et la situation actuelle
2. Organisez une conférence d’un témoin externe (je propose des formats d’intervention cf ci-dessous. Mais il y a beaucoup d’autres références dans l’écosystème)
3. Prenez du temps personnel (et / ou faites planchez vos équipes) pour creuser authentiquement des enjeux stratégiques de votre secteur
Aux entreprises : faites des contraintes actuelles (économiques, CSRD) une opportunité de faire de la « stratégie »
4. Mêmes si les processus CSRD sont lourds, et la conjoncture économique difficile, investissez un peu de temps pour penser stratégie et imaginer des initiatives à lancer en 2025.
NB : les reportings extra-financiers type CSRD peuvent rester au stade du reporting pour « cocher des cases ». Ils sont aussi des mines d’or pour interroger la stratégie long-terme d’une entreprise.
Aux personnes en quête d’impact dans leur travail : il est possible lancer des initiatives à impact - quelle que soit votre position.
5. Identifiez des collègues et réfléchissez à de premières initiatives pour la rentrée
6. Réalisez une mini-étude stratégique sur votre secteur en compilant des ressources et en structurant des propositions concrètes… à partager à des mentors.
7. Interrogez vos collègues ou créez des discussions sur la manière dont ils vivent la situation actuelle.
8. Rejoignez une formation du réseau LES COLLECTIFS (quentin@les-collectifs.eco pour cela)
Aux personnes qui sentent qu’il leur manque quelque chose : Lancez-vous.
9. Faites revivre une idée qui vous trotte dans la tête. Un email jamais envoyé ? Un projet resté théorique ? Une envie depuis 1 an ? Je suis persuadé que oui : trouvez de quoi lui donner une réalité concrète en quelques jours, et voyez après.
Aux sceptiques : Lancez-vous, aussi.
10. L’époque est à exiger une garantie de résultat pour agir. Prenez le contre-pied. Compartimentez un temps d’action et laissez parler votre envie d’agir. Je vous laisse me dire ce qu’il en sera advenu.
Conclusion
Comme me le disait Malo : « J’essaie d’agir d’où je suis, sinon je deviens fou ».
Oui, la folie serait de ne rien faire.
Merci à toutes les engagées et tous les engagés qui se démènent à leur niveau pour faire changer les choses !
Et à la semaine prochaine.
🎬 J’espère que cela vous a plu, et donné envie d’agir à votre niveau.
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Par ailleurs, je propose des formats pour aider les entreprises, les dirigeants, et les citoyens à se mettre à l’œuvre. Contactez-moi si cela vous intéresse.
Conférences-inspiration aux dirigeants et / ou aux équipes
Interventions de conseil auprès d’entreprises pour réfléchir à la stratégie et la culture de l’entreprise
Mentorat de citoyens pour identifier et lancer des projets à impact.
Dans tous les cas, je serai ravi de recevoir vos remarques, propositions, commentaires à quentin@aloeuvre.com : vos contributions amélioreront le projet.
🙏 Merci et à bientôt, j’ai hâte de vous retrouver la semaine prochaine.
Quentin 🚴♂️🏔️🌍
Bonus COP29 : D’une initiative 0-déchet au bureau… à une invitation à la COP.
Laissez moi terminer par une histoire personnelle.
J’ai commencé mon engagement en 2017 par un sondage auprès de 100 collègues et une commande de 50 gourdes à distribuer pour réduire les déchets plastique.
Je savais bien que c’était une “petite action”. J’avais l’ambition de participer à plus grand. Mais c’est la première étape que j’avais trouvé, à l’époque
En quelques années, cette première action :
En avait déclenché des dizaines d’autres (changement de fournisseurs, formations pour des centaines de salariés, discussions avec les dirigeants, etc.)
Etait devenue l’un des premiers collectifs de salariés en France
Avait participé à initier - avec tant d’autres personnes engagées - un réseau de milliers de salariés engagés pour l’écologie, LES COLLECTIFS.
En Novembre 2021, j’ai eu l’opportunité de témoigner à la COP26 sur le Pavillon France pour une session « Changing Business from within » avec LES COLLECTIFS, le Mouvement Impact France et Emmanuel Faber.
Cela a-t-il changé le monde ? Non.
Mais pour l’association, cela avait été un pas certain, et avait permis d’augmenter la sensibilisation.
Et cela illustre que de petites actions peuvent mener à de nouvelles opportunités. Qui continuent aujourd’hui.
Merci Quentin pour ce deuxième numéro ! Ma formation de scientifique ne fait penser qu’il manque peut-être l’intention (ton troisième point) au début de l’action (ton deuxième point), pour la guider. Ce que nous, scientifiques, appelons « hypothèse ». Que l’action viendra confirmer ou infirmer : c’est ton étape d’apprentissage. Sans intention ou hypothèse, il y a le risque du découragement dans l’action (à défaut de « devenir fou »).
Et j’ai coché la 9 parmi tes actions avant Noël en reprenant mon blog et en lançant mon Substack !
Thierry LANGRENEY, auteur d'un rapport sur l'assurabilité face au changement climatique à la demande du gouvernement, demande aux assureurs d'être "activistes".
C'est à dire mobiliser leur "gestion d'actif" en investissement pour inciter les énergéticiens à infléchir leur répartition entre fossiles et énergie renouvelables.