Bienvenue dans l’épisode 1 de la newsletter À L’ŒUVRE.
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Chaque semaine, À L’ŒUVRE interroge des enjeux sociétaux en partant d’expériences de terrain, les mettant en regard d’apports philosophiques, économiques et historiques, et en donnant des pistes d’action concrètes — en moins de 10 minutes.
Aujourd’hui, nous interrogeons la notion d’écologie : c’est parti ! 🎬
L‘HISTOIRE : « je déteste les écolos »
Une rencontre en Occitanie avec Michel, paysan reconnu comme figure de l’agroécologie. Une discussion qui interroge le lien entre les pratiques et le sentiment d’appartenance écologique.
Dès l’arrivée chez Michel, on sent qu’on n’est pas dans une ferme classique. Pas de champs labourés à perte de vue. Mais une bâtisse entourée d’une jungle luxuriante. Michel lance la visite : il ne faut pas traîner car à 16h30 quelqu’un vient l’aider sur son logiciel de comptabilité.
C’est une leçon d’agroécologie, in situ. « Ici tu as des féveroles pour nourrir d’azote le sol sans engrais. » « Là j’ai planté des arbres pour faire de l’ombre aux plantations, un corridor pour les oiseaux, et capter du carbone. » « Je fais des paillages avec des branchages, des cartons, des tuiles : cela améliore la rétention d’eau. » « On fait des tests avec des herbes aromatiques comme le romarin pour combattre le mildiou.» Etc.
Et ça marche. « Viens. Tu te souviens de la terre que je viens de te montrer ? Noire, humide… Ici tu as une surface cultivée par ma mère selon les méthodes « modernes » : labour et engrais. Que vois-tu ? Rien. Le désert. Sec. Pas d’herbe. Pas de sol. Terre propre, terre morte. »
Michel a l’humilité des acteurs de changement au long cours. Qui savent que rien n’est acquis. « Les gens me demandent comment je fais, mais cela fait vingt ans que je fais des erreurs et que je recommence. C’est comme ça que ça marche. »
Mais après une heure de visite, Michel me lance cette phrase si imprévisible :
« Après, je vais te le dire, je déteste les écolos. »
Je tombe de ma chaise.
- Michel, je ne comprends pas. Ce que vous me partagez, les pratiques que vous utilisez, le retour au sol, les personnes se disant « écolos » souhaiteraient que cela se développe !
- Oui, mais les écolos, ils sont à Paris ou Bruxelles, font des normes et ne viennent pas ici. Les partis de tous bords sont venus me voir, de gauche à droite. Pas les écolos. Il y en a ici, des écolos. On s’entend bien quand on se voit, mais sur le fond, ils veulent qu’on mange des graines, qu’on n’ait pas de voiture, et font des listes électorales de fonctionnaires. Je n’ai rien contre les fonctionnaires, mais il me semble qu’il faudrait des artisans, des commerçants, des paysans, des gens de la société civile. Non, on n’est pas dans le même monde ».
Vraiment ? A suivre.
LE MOT : « écologie »
Écologie vient de « Oikos », le foyer, la maison, et « Logos », la science, l’étude, le discours. Ainsi, l’écologie, c’est la science de la maison. Un beau mot, qui dit ce qu’il veut montrer si on lui laisse la peine de s’exprimer. Qui invite à prendre soin de la maison, quand on a compris comment elle fonctionnait.
Écologie et écologisme : à ne pas confondre ? Dans les années 60 se structurèrent les premiers mouvements « écologistes ». La différence de suffixe (-ique vs. -iste) marque la différence entre la notion d’étude ou l’incarnation politique. Le débat public confond souvent les deux.
Écologie et économie : sœurs plutôt qu’ennemies ? Avez-vous déjà la ressemblance lexicale entre écologie et économie ? Économie vient du même « oikos » qu’écologie, accolé à « nomos », la loi. L’économie, ce sont les lois qui régissent la maison. Quelle gestion « en bon père de famille » détruirait les conditions de son existence ?
ANALYSE : et si l’écologie avait raison sur le fond mais tort sur la forme ?
La rencontre avec Michel fut une stupéfaction. Comment un pionnier des pratiques écologiques peut déclarer en détester les incarnations ?
L’erreur de forme est l’une des thèses de Bruno Latour, penseur reconnu de l’écologie. Dans son Mémo pour la classe écologique, il identifie des limites à la stratégie employée par l’écologie dans les dernières décennies :
L’insistance sur les risques, qui « panique et ennuie »
L’approche pédagogiste (« si on explique les faits, cela suffira à faire changer les choses »), qui néglige la puissance des affects et des émotions
Le manque de travail d’écoute et de conviction sur le terrain, amenuisant la confiance et la proximité… alors que d’autres mouvements (par exemple populistes) s’y attellent largement.
Il propose une nouvelle voie. S’appuyant sur l’histoire sociale, il insiste sur la nécessité d’envisager le changement de société par le changement culturel :
A relier à de grandes valeurs mobilisatrices comme la prospérité, l’émancipation, la liberté, l’épanouissement, etc.
A décliner ensuite dans le reste des leviers que sont les normes, réglementations, lois, indicateurs, formations, etc.
A activer de manière concrète en créant les “équipements” pour résoudre ces problèmes nouveaux ; en étant opportuniste et saisissant toutes les occasions ; en faisant le travail de terrain.
En acceptant la temporalité nécessaire. Latour évoque qu’un changement culturel prend 100 ans. Les débuts de l’écologie politique datent des années 60. Nous en serions ainsi à 60 années sur 100.
Laissons-lui la parole :
« Il faut rendre sensible toute une population à un changement de cosmologie qui implique un prodigieux accroissement des sujets de préoccupation. […] Ce changement doit pousser à saisir à nouveaux frais les humanités et chercher, par tous types de média et par toutes les formes, comment s’exprime et se ressent cette nouvelle terre. L’histoire sociale et culturelle montre que cela est particulièrement vrai de l’importance donnée à toutes les époques à la culture et aux arts. L’écologie officielle manque de ces ressources : c’est au fond comme si, puisqu’ils s’occupaient de la nature, ils pouvaient délaisser la culture. »
LES ACTIONS : 6 inspirations pour aborder l’écologie autrement
1. Pour toutes et tous : Sortir !
Pour cultiver notre lien au vivant, rien de mieux que d’y plonger. Les bienfaits du temps passé dehors sont multiples : apaisement, créativité, bien-être psychologique. Pourtant, nous sommes devenus une espèce "d’intérieur". Par exemple, les enfants passent trois fois moins de temps dehors que leurs parents.
Une campagne américaine « 1000 hours outside » incite à passer 1000 heures dehors par an. Cela fait 2h45 par jour. Et si on se donnait le défi plus accessible de passer 100h dehors d’ici la fin de l’année ? A vos chronomètres.
2. Pour les engagé(e)s : Parler des finalités concrètes plutôt que des chiffres de décarbonation
Réduire des tonnes de CO₂ ? Nécessaire, mais perçu comme abstrait. Diminuant son pouvoir de persuasion à large échelle. Pourtant l’écologie a des bénéfices indéniables sur la qualité de vie. Mieux manger diminue le risque de maladies, limiter les déplacements redonne du temps, isoler son habitat améliore le confort, etc. Parlons des bénéfices en priorité, et gardons les chiffres en arrière-plan ?
3. Pour les entreprises et les dirigeants : Revoir la manière dont on fait les business plans
On associe souvent écologie et coûts supplémentaires. Pas toujours faux, mais cela dépend aussi de la manière de compter. Intégrer les externalités écologiques (comme les « services rendus par la nature » ou le « coût carbone ») dans les business plans est non seulement plus honnête, mais permet aussi d’identifier des opportunités stratégiques. Les gestionnaires voient le monde à la lueur du présent, les stratèges envisagent comment il peut se déformer. Quel joueur serez-vous ?
Exemple de terrain lors de la visite d’une entreprise industrielle. Des salariés font cette remarque à leurs dirigeants : « Le plan stratégique prend en compte une disponibilité des métaux rares qui reste stable. Or, ce sont des matières en tension, dont l'approvisionnement n’est pas garanti. » « Si ce que vous dites est vrai, on a en effet un problème de Business Plan ». J’ai l’impression de ne pas être venu pour rien.
4. Pour les humains en nous : Interroger l’alignement entre les pratiques et les convictions
Il semble que les convictions écologiques et le niveau de réalisation dans le quotidien soient régulièrement décorrelés. Comment y voir plus clair ? Et si on commençait par une légère introspection. Posez-vous deux questions : Quel est mon niveau de sensibilité écologique ? À quel point l’écologie est-elle intégrée dans mes pratiques (personnelles, professionnelles) ?
Essayez de regarder où vous vous situez (écoutez votre intuition pour le moment) :
💖 Les pratiques de votre métier semblent alignées avec votre niveau de sensibilité et d’attachement à la cause écologique : continuez sur cette voie !
⭐️ Vous êtes comme comme M. Jourdain (ou Michel) : vous n’êtes peut-être pas assez conscient(e) de la valeur écologique de vos actions.
🛤️ Vous avez des convictions fortes qui ne semblent pas complètement reflétées dans vos pratiques. Pas de panique : il y a plusieurs manières de s’engager, nous y travaillerons.
⚠️ Vous ne semblez pas très préoccupé(e) par les sujets écologiques et il semble que cela fasse peu partie de votre vie. Pas de panique, on va travailler aussi :)
❔Vous n’arrivez pas à situer votre secteur, votre activité, votre engagement ? Idem, on abordera cela !
Nous développerons dans À L’ŒUVRE des contenus pour tous les profils.
5. Pour les prosélytes : Adopter une posture d’écoute dans les débats
Face à des personnes trop sûres d’elles, ne faites pas l’erreur de vouloir convaincre. C’est surement perdre votre temps, et peut-être votre relation. Privilégiez l’écoute : "Pourquoi penses-tu ceci ?", "Qu’est-ce qui te fait croire cela ?". A minima, vous aurez compris des mécanismes. Peut-être même que votre interlocuteur aura vu les choses autrement. Une graine sera semée, et votre relation préservée.
6. Et pour tous les vivants : Tomber amoureux de la Terre.
Connaissez vous « l’overview effect » ? C’est un sentiment fréquent ressenti par les astronautes en voyant notre planète depuis l’espace. La vision du « point bleu pâle suspendu dans le vide » réveille souvent une prise de conscience écologique.
Heureusement, plus besoin d’aller dans l’espace pour en faire l’expérience. Le projet OneHome met à disposition ces images hypnotisantes de notre planète, accessibles à toutes et tous. A regarder sur grand écran.
« Blue Marble », ou « Bille bleue ». Voici le nom donné au premier cliché complet de la Terre, pris en 1972 (ici revisité).
Fait encore plus incroyable : il a fallu attendre 2015 pour avoir le second cliché !
N’avez vous pas envie de prendre soin de ce lieu qui nous abrite depuis tant d’années ?
Conclusion : changer de mot ?
Une remarque de ma mère m’a marqué lorsque je lui ai partagé mes réflexions : « C’est drôle, quand tu parles d’écologie, c’est plus large que ce que j’imaginais. Pour moi, l’écologie est très associée aux anti-nucléaires des années 70. Peut-être que pour des gens comme nous, il serait plus facile de changer de mot. ». Et si elle avait raison ?
Je me lance : et si on parlait d’« habitabilité ». Car au fond, c’est de cela qu’il s’agit. La Terre continuera d’exister sans nous, mais l’inverse n’est pas vrai. L’humain a toujours cherché à améliorer son confort sur Terre. L’habitabilité n’est plus garantie, cela nous invite à nous y atteler. Pour le mieux.
Je trouve que cela est inspirant, et pourrait rassembler.
Michel aussi l’appelle de ses voeux. A la fin de ma visite, il me dit « Pour déployer l’écologie, il faut donner envie. »
🎬 J’espère que cela vous a plu et vous a donné envie d’aborder l’écologie autrement.
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🙏 Merci et à bientôt, j’ai hâte de vous retrouver la semaine prochaine.
Quentin 🚴♂️🏔️🌍
Merci Quentin pour ce premier épisode ! J'ai pris en coup de vieux en lisant que depuis 1960... 80 années s'étaient écoulées ;-).
"Habitabilté" : oui, et pour que l'oïkos soit habitable, il nous faut aussi d'urgence retisser des liens !