#7- Un satellite, c’est tout sauf high-tech
Une réflexion sur la performance et la robustesse
Bonjour à toutes et tous,
Bienvenue dans ce 7ᵉ épisode d’À L’ŒUVRE, la newsletter qui décrypte des enjeux de société en partant du terrain et qui donne des pistes pour agir à son niveau.
Aujourd’hui, on parle de performance vs. robustesse, à travers
La visite d’une usine de satellite
Les travaux de LA figure de la robustesse, le biologiste Olivier Hamant
Des pistes d’action pour les citoyens, les entreprises, et les pouvoirs publics.
C’est parti !
Rappel : Je suis Quentin, originaire de Chambéry, vivant entre Paris et la Bretagne, entrepreneur dans les mondes économiques et associatifs, passionné par les défis sociétaux et désireux d'apporter ma pierre à l'édifice.
J’ai créé cette newsletter pour vulgariser et intéresser aux enjeux du monde et se donner des clés pour œuvrer à son échelle.
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L’histoire : « un satellite, c’est tout sauf high-tech ».
Cela part d’une contre-intuition.
Il y a quelques mois, j’ai visité une usine de satellites.
Je m’attendais à découvrir de la très haute technologie – ce qu’un satellite représentait pour moi.
Mais j’ai découvert… l’inverse.
Explorons.
Nous sommes dans le Sud-Ouest. Le site industriel ressemble à un campus universitaire. Les bâtiments géants, on s’y déplace dans des entrelacs de portes, d’escaliers, de couloirs.
Sur les murs, les « produits maison » s’affichent : satellites, sondes, équipements spatiaux. Comme des posters d’enfants, mais ce sont des adultes qui s’affairent studieusement en blouse blanche, dans des boxes aux allures de paillasses de physiciens.
Il y a une forme d’esthétisme à tout cela. Devant chaque box, les composants fabriqués sont exposés comme de petites oeuvres d’art. Circuits imprimés, pièces mécaniques aux formes tarabiscotées, argentés ou dorés. Paillettes qui se montrent ici-bas avant leur grand saut.
Puis, au détour d’un couloir, le satellite !
Forme tant de fois aperçue dans des films et des livres. Mais la voir en vrai me saisit tout de même : comme un mirage qui prendrait vie.
Je ne peux malheureusement m’approcher : l’accès est réservé à un personnel limité, en blouse blanche. Et c’est là que cela devient intéressant.
Au delà de la sécurité, il faut laisser la salle « blanche », comprenez, qu’aucune poussière ne puisse y rentrer.
Pourquoi ? Car une particule indésirable qui s’infiltrerait dans le plus petit des composants, et patatras ! Des années de recherche, des mois de travail et des millions d’euros partiraient en fumée.
« C’est arrivé : une poussière dans un condensateur a mis un satellite KO. Et là, c’est le drame, car on ne peut pas envoyer d’équipe de maintenance ».
Le soin global qui est mis à la fiabilité est bien plus large.
« Au global, un satellite, c’est tout sauf high-tech.
Pour limiter les pannes, on doit utiliser des technologies que l’on maitrise parfaitement, et souvent elles ont plusieurs décennies.
Par exemple, on a été l’une des dernières industries à intégrer les moyens digitaux pour remplacer l’analogique. Car on ne savait pas en garantir la fiabilité ».
Ainsi, la performance du satellite ne tient pas à sa vitesse et sa puissance. Mais à son adaptabilité à un monde hostile, et sa fiabilité.
Pour cela, on est prêt à renoncer à des usages et des technologies qui seraient sur le papier plus performantes.
Un renversement de valeurs… qui est intéressant pour envisager les prochaines décennies
Et la NASA fait de même.
Voici un document technique mais génial : les 10 commandements du code informatique que la NASA impose à ses développeurs. Pourquoi ? Car ils sont drastiques, voire archaïques.
Prenez le #5 : « Aucune fonction ne doit dépasser 60 lignes de code ». Pourquoi ? Pour tenir sur une feuille de papier et être saisies par l'oeil humain.
Un ami développeur compare cela à « se déplacer avec une charrette ».
Contraignant ? Peut-être. Mais c'est ce qui est nécessaire pour être performant dans l'espace.
Le fondement théorique : passer de la performance à la robustesse.
Ainsi, un satellite questionne notre relation à la performance et à la robustesse.
Ca tombe bien, un chercheur a beaucoup travaillé sur cette tension entre robustesse et performance ces dernières années, s’établissant comme LA figure du sujet.
Il s’appelle Olivier Hamant, il est biologiste, et il commencé son aventure avec la robustesse par une question simple :
« Comment font les fleurs pour toutes se ressembler ? »
Son intuition était qu’il devait y avoir une sorte de « super-programme » inscrit dans leur ADN qui leur permette de standardiser de manière efficace leur création.
Mais il a trouvé le contraire.
Ce qui fait la performance des plantes, c’est leur sous-performance. Si les fleurs se ressemblent tant à l’échelle macroscopique, c’est grâce à l’« hétérogénéité » et l’imperfection de leurs structures locales.
Voyez vous 15 fleurs identiques ou différentes ?
La performance du vivant vient de la sous-performance des processus qui le crée.
Et c’est une bonne inspiration pour nous en ces temps fluctuants.
Car nous - humains - fonctionnons de la même manière. Par exemple, des discours robotiques n’ont pas de charme. Les visages symétriques sont perçus comme moins beaux. Ou encore : les corps restent jeunes quand leurs cellules meurent plus vite (car elles sont renouvelées), et vieillissent quand les cellules vivent plus longtemps.
Car le prisme de la performance qui a prévalu dans les dernières décennies ne sera pas forcément le plus utile pour la suite. Si Olivier Hamant reconnaît les apports des techniques sur l’humanité (confort, etc.), il se garde de tirer le trait pour les prochaines décennies. Il analyse que les approches d’optimisation, de vitesse, de sophistication, ont été permises car le monde était globalement stable - économiquement et écologiquement. Mais que la situation change avec les défis écologiques, la raréfaction des ressources, la fluctuation économique. Ce n’est pas parce que la performance a marché jusque maintenant que cela marchera encore demain. Au contraire, il faut passer de la performance à la robustesse.
Voici comment il caractérise la robustesse vs. la performance :
Coopération plus que compétitition
Adaptabilité plus que vitesse.
Peu de principes (et « lâches ») plus que beaucoup de règles rigides (cf NASA)
Décentralisation plutôt que centralisation
Diversité (de tout) plutôt que normalisation
Préparation plutôt que projection
Innovation partant des marges de la société (ou ceux qui peuvent connecter les mondes, par exemple) plutôt qu’optimisation des modèles actuels
Alors, vous sentez-vous robuste ou performant ?
Ce qu’il faut retenir : les conditions globales du monde sont en train de changer et elles pourraient impliquer de nouveaux facteurs de succès - aux niveaux individuels, des entreprises, des états.
☕️Aparté
« Le chêne et le cheval » : l’inversion entre performance et robustesse était là dans l’étymologie
Il n’est jamais inutile de réouvrir le dictionnaire. Ce qu’on y découvre sur la robustesse et la performance est assez éclairant.
🌳Robustesse vient du latin robustus, emprunté à robur, qui qualifie le chêne. Le chêne est un symbole de solidité et de force : mais c’est parce qu’il est robuste. ?Notamment, il sait se contraindre pour utiliser seulement l’énergie dont il a besoin, et garder le reste (au coeur de son tronc) en cas de traumatismes exceptionnels. C’est pour cela que certains arbres semblent “renaître” alors qu’on les croyait morts. Et un bon exemple d’auto-contrainte pour être plus robuste.
🏇Performance vient du vieux français parformer… qui désigne une manière d’évaluer les exploits des chevaux de course. Ainsi, la notion de performance a été inventée dans le cadre de la compétition sportive. D’un jeu, avec des règles claires, que l’on peut mesurer. Pas tellement le monde que nous vivons, non ?
Ainsi la robustesse vient d’un organisme qui sait gérer son énergie pour parer aux véritables évènements de la vie, et la performance d’une activité de loisir dont on définit les règles pour jouer. Ca fait réfléchir, non ?
Et maintenant, comment agir ?
Nous avons parcouru plusieurs exemples et références qui nous questionnent sur la notion de performance et nous incitent à développer la robustesse. Mais comment l’appliquer au quotidien ?
Comme à chaque fois, laissez-moi tester avec vous plusieurs pistes, du niveau individuel au plus sociétal en passant par les dirigeants et les entreprises.
→ 🦸Pour les individus : acceptez (et chérissez !) vos zones de non-performance.
La société nous incite à faire tout mieux, toujours plus, toujours plus vite. Mais la théorie de la robustesse insiste sur la valeur des moments de non-performance.
Je vous propose de savoir protéger des « tangentes de robustesse » : des moments ou des activités sur lesquelles vous ne souhaitez pas rentrer dans une logique de performance.
Ce peut être la méditation, le temps avec les enfants, le dessin, le sport, etc. Selon la théorie, il en sortira quelque chose… si vous savez vous réserver cet investissement !
Encore sceptique ?
Réécoutez le fameux discours de Steve Jobs à Stanford en 2005, et notamment le passage sur son apprentissage de la typographie qui a changé l'informatique.
« Comme je n’avais pas à choisir les cours obligatoires je décidai de m’inscrire en classe de calligraphie. C’était un art ancré dans le passé, une subtile esthétique qui échappait à la science. J’étais fasciné. Rien de tout cela n’était sensé avoir le moindre effet pratique dans ma vie. Mais 10 ans plus tard, alors que nous concevions le premier Macintosh, cet acquis me revint. Nous l’incorporâmes dans le Mac. Ce fut le premier ordinateur doté d’une typographie élégante ». CQFD?
→ 🏦Pour les entreprises : intégrez la robustesse dans les business plans
Optimisation, vitesse, fluidité ont été les maîtres mot du monde économique ces dernières décennies. Le Covid-19 et l’échouage sur le canal de Suez en 2021 du cargo Ever Given avaient été les premières illustrations récentes à grandes échelle de la fragilité des systèmes logistiques mondiaux. Sur-optimisés, ils pouvaient s’enrayer facilement.
Aujourd’hui, cette volatilité devient la norme. Elle doit inciter les entreprises à penser là où elles accepteront de lâcher de la performance court-terme pour couvrir un risque (avec des redondances, de la des “matelas de secours”, etc.)… ou à accepter de faire des choix forts. Comme me le dit un dirigeant : « c’est le retour de la stratégie : des choix d’allocation de ressources pas simples, qui feront des gagnants et des perdants »
.
Un grain de sable peut faire dérailler la machine. Un cargo en travers sur un fin canal, et la logistique mondiale s’effondre.
→ 🏛️Pour les pouvoirs publics : intégrez la robustesse dans les politiques publiques.
Les Etats ne peuvent pas tout, mais ils gardent des moyens uniques pour flécher des politiques publiques. Cela peut s’appliquer à la robustesse. Quelques pistes :
Envisager les coûts complets par thématique pour mieux comprendre nos zones de fragilité. Par exemple, considérer les impacts sur la santé des modèles alimentaires fait revoir les analyses comparatives entre le prix des produits de qualité ou très bon marché
Aligner les incitations étatiques. Par exemple, l’agriculture régénératrice permet d’améliorer la résilience des sols (en développant des racines, la biodieversité, etc.) et donc la robustesse du territoire : comment bien l’intégrer à la Politique Agricole Commune ?
Valoriser les sphères locales et du lien social. Quand les structures craquent, la solidarité et le tissu associatifs tiennent. Mais il faut les entretenir. Associations, structures locales, etc. Ce sont typiquement des échelons de robustesse. Par exemple, les maires sont les politiques en qui les français ont le plus confiance. Mais un tiers des maires se déclarent au bord de l’épuisement. Exemple typique d’une fragilité à robustifier ?
Ouverture : vers un équilibre entre performance et robustesse ?
Ainsi, nous avons découvert comment la robustesse est une clé de lecture importante pour aborder les années à venir… que certains métiers et secteurs comme le spatial ont bien intégré… à rebours des impressions populaires.
Mais faut-il vraiment opposer les deux ?
Explorons : qu’est ce que voudrait dire être robuste et performant ?
C’est peut-être essayer d’anticiper les angles morts de chacune des approches :
Ne pas se laisser aveugler par les paillettes de la performance (“je vais plus vite, plus haut, plus fort, sans me poser des questions” —> non, la vie vous rattrapera surement à un moment ou un autre)
Ne pas se laisser par la contemplation de la robustesse : il faut parfois se donner du mal pour réussir quelque chose que l’on envisageait impossible.
Et ainsi on essayer de tirer le meilleur des deux mondes.
On essaie ?
Je ne sais pas si cet exemple vous parlera, mais en écrivant cet article je me suis dit que je n’arrivais pas à choisir seulement la robustesse, et qu’il me fallait garder un aiguillon de performance pour terminer cet article à une heure avancée dans la nuit.
🫵Et vous, comment équilibrez-vous les deux ?
Cadeau : je vous laisse avec la fiche de lecture
J’espère que cet épisode sur la performance et la robustesse vous a plu.
N’hésitez pas à me partager les réflexions que cela fait germer !
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Prenez soin de vous et des autres,
À bientôt,
Quentin 🚴♂️🌍